2éme partie
CHAPITRE 4
A chaque rencontre, Vincent
et Sabine, après l'étreinte, feignaient l'indifférence la plus totale, se
sentant en quelques sortes coupables de se laisser aller à cette tentation si
grande, cette passion qui ne semblait être lié qu'aux plaisirs charnels. Ils se
levaient, s'habillaient, n'échangeant ni un mot, ni un regard. Sabine prenait
son sac à main en cuir noir, y remettait de l'ordre, sans que cela soit utile.
Elle en sortait son paquet de cigarette, en sortait une du paquet, faisait
rouler la molette du briquet, toussait parfois, et sortait de la chambre, sans
se retourner, oubliant Vincent, l'amant qui lui donnait tant de plaisir. Elle
rougissait seulement parfois, oubliait se jurant à chaque fois de stopper cette
liaison trop dangereuse. Mettre fin à cette situation honteuse, et au rôle
qu'il avait fallu construire pour tromper son mari. Elle avait compris cette
expression, elle savait que le plus difficile n'était pas d'avoir une
relation, mais de la
dissimuler sans cesse par des
mensonges... Mais ce jour là,
après l'acte, il ne se passa rien... Vincent avait les yeux rivés aux plafond,
il ne bougeait plus. A ce moment, Sabine avait senti que ce jour n'était pas
comme les précédent, qu'un tournant devait être pris, même si sa courbe ne
pouvait pas être réellement établie.
- Que t’arrive-t'il?
- Je repense aujourd'hui à ce
qu'il s'est passé pendant
mon enfance... Tu sais,
c'était comme dans un
cauchemar... On essaie
d'oublier, mais on n'y arrive
pas, ou si, parfois on y
arrive, on sait que toujours cela restera en nous, toute ces souffrances,
toutes ces humiliations, on ne peut pas les oublier... La shoah... Puis il
continua à s'exprimer en Yiddish, chose qu'il n'avait plus faite,
vraisemblablement, depuis l’adolescence... Il se doutait bien que Sabine ne le
parlait pas, mais il continua, persuadé que lorsque
quelqu'un parle avec le
coeur, les mots n'ont plus aucune importance, et ne peuvent gêner la
compréhension... Un peu comme Tardieu arrive à le prouver au théâtre... Elle se
tourna vers lui cette fois, se colla à sa poitrine, le fixa dans les yeux, et
lui répondit:
- C'est bien loin tout ça!
Mais ce qui me surprend le plus, aujourd'hui, alors que je le savais déjà,
c'est que tu sois Juif... Je ne t'avais jamais regardé comme tel... Et cela
n'avait pas d'importance, alors que je découvre maintenant que cela en a. De
l'importance, pas des conséquences...
- D'ici, on ne voit jamais le
soleil...
- C'est vrai, je ne l'avais
pas remarqué...
- Je crois que je t'aime...
- Moi aussi... Enfin je
crois... Et quand bien même,
que pourrions nous y
changer...
C'était un Mardi, je crois,
et c'est à ce moment là que tout allait devenir différent, les étreintes
bestiales multiples n'allaient plus suffire, ils étaient tomber amoureux, l'un
de l'autre, tout allait se compliquer...
Sabine et Vincent sortirent,
arpentèrent les rues du vieux Montpellier, ayant l'un l'autre conté une
histoire
supplémentaire à leurs époux
respectifs, sans toutefois manqué, ni pour l'un, ni pour l'autre, d'imagination,
ni d'inspiration... C'est en les regardants, ce jour là, que j’ai compris
qu'ils me demandaient d'écrire le livre de leurs vies. En remontant une ruelle,
sur leur gauche, ils
aperçurent un magasin de
jouets anciens; ils y entrèrent... Tout de suite, à l'intérieur, leur conduite
changea. Comme des enfants, devenus adultes, ou des adultes devenus enfants.
- Quand j'étais gamin,
j'avais ce vieux camion, c'était
le seul jouet dont je
disposais. Je m'en souviens très
bien, je l'avais toujours
avec moi, ma mère disait sans cesse “arrête ce vacarme!”. Mais je continuais
obstinément à reproduire le bruit des “Berliet” qui
passaient dans la rue Saint
Vincent. Ce qu'il fit d'ailleurs, s'attirant les regards des gens qu'il
dérangeait en ayant ce comportement incorrect, puisqu'inhabituel aux yeux des
terriens. Mais il pensa, au moment où il sentit les regards se poser sur lui;
- Là mon comportement est
incorrect! Mais qu’est-ce qui est incorrect! Qu'un homme se laisse aller à ses
souvenirs d’enfances, (qu'il a l'impression de ne pas avoir eut, par ailleurs)
ou que six millions de Juifs aient pu être déportés et assassinés! Son père, un
Sépharade, n'avait pu y échapper; ça il le savait! Ca, il le savait, et sa
rancoeur en était plus grande encore... Il
arriva enfin à se débarrasser
de ses sombres pensée, de ses souvenirs cruels... Sabine quant à elle, tandis
qu'il n'avait pas cesser de reproduire le bruit du vieux camion, avait attrapé
une poupée de cire, que bêtement, elle appelait Josie.
- Josie penche la tête, non
pas de cette façon, Dit merci; voila c'est beaucoup mieux, ne pleurs pas, je
n'ai pas voulu te faire de peine, c'est absurde, voyons!
Leurs regards se croisèrent, les clients,
ainsi que la
les vendeuses ne les
quittaient plus des yeux...
- A croire qu'ils ont
vraiment perdus la boule ces deux
la!
Ils continuèrent à se
regarder, pouffèrent de rire,
s'embrassèrent... Et bien
évidemment payèrent ces
jouets, après ces
retrouvailles, comment auraient-ils pu les abandonner? Et un peu comme la fin d'un
spectacle, ils sortirent, main dans la main, oubliant les distances que doivent
tenir deux amants...
A la sortie, un homme avec un
complet noir les observa longuement, seul Vincent s'en aperçut, il eut même la
vague impression que cet homme était en train de les suivre... Mais il ne s'en
était pas inquiété, et n'en avait pas même parlé à Sabine... Quelle importance! Avec un hochement de tête,
j'approuvai... Enfin, ils finirent leur course folle au Café Riche, c'est là
que Sabine sut enfin que Vincent s'occupait de finance, qu'il était brillant,
et surtout fortuné. En le
questionnant Sabine put
entrevoir l'esprit Cartésien de son amant. Elle n'aimait pas cela, elle, était
une artiste. (Elle se considérait ainsi,
parce qu'elle avait écrit son journal intime de jeune fille.) Ce jour, ils
décidèrent d'inventer un ultime mensonge afin de pouvoir s'évader quinze jours
en Grande-Bretagne. C'était Vincent qui en avait eu l'idée, comment lui refuser
quand après quelques secondes d'hésitations, il lui présenta les billets
d'avion. Via Londres.
CHAPITRE 5
Ils avaient pris la Mercedes
de Vincent afin
de se rendre à l'aéroport,
mais comme il avait annoncé
à Iris qu'il devait se rendre
à Nice pour affaire, il avait changé les billets. Sur l'autoroute, ils
s'imposèrent une halte à Lançon de Provence. Vincent connaissait bien ce
parcours, il aimait cet endroit surplombant l'autoroute, entièrement vitré; il
se grisait à chaque passage, regardant les voitures qui défilaient sans cesse.
Il considérait longuement les personnes qui s'y trouvaient, cela le fascinait,
il ne pouvait s'empêchait de penser que sous ses yeux se déroulaient des
histoires toutes différentes les unes des autres, mais qu'il pouvait y en avoir
de semblables à la sienne. Cette fois ils étaient deux, et il se grisèrent tous
deux devant les immenses baies vitrées... Fatigués, ils se rendirent au
restaurant. Rassasiés et reposés ils reprirent la route. Il laissa le volant à
Sabine. Il aimait se répéter son prénom, silencieusement, seulement un à peine
perceptible mouvement de lèvre. Sabine lui
demandait:
- Que dis-tu?
- Rien...
Puis plusieurs péages, sans
que Vincent ne quitte des
yeux le visage de son amante.
Il ne pouvait s'en défaire. Si il avait dû définir ce qu'il ressentait à ces
moments là, il aurait répondu, impassible, que c'était pour ses orbites, plus
fort que l'attraction terrestre. Ses traits étaient si pures, si attirants, si
envoûtants, il l'avait compris, dés le moment où ils s'étaient bousculés dans
ce café. C'était pour des cigarettes! Cela le faisait rire lorsqu'il y pensait.
Juste après avoir fini le paquet, il n'avait plus jamais fumer... Puis le Var,
la Provence, cet endroit où Giono avait décrit tous les parfums, avait saisi
toutes les nuances, les odeurs, les oiseaux, leurs chants, les habitants et
leurs coutumes, sans rien leur voler, seulement en écrivant sur eux, en cachant
tout ce qu'il y voyait de moche, peut être ne le voyait-il pas... Sans rien
leur voler! Au plus avait-il emprunté, mais il leurs avait tout rendu,
même mieux, ensuite, il leur
avait tout donné. Il lui avait tout donné à cette Provence si fière désormais
de ce nom. Qui peut aujourd’hui la dissocier de Jean Giono? Enfin, ça c'est Sabine qui le lui raconta,
lui il cligna des yeux, indifférent, cela se voyait. Je n'avais pas pu non plus
fermer les yeux...
- De l'autre côté, il y a le
Trayas!
Avait lancé Vincent, à un
moment donné, je t'emmènerai avait-il ajouté.
- C’est très beau, un des
plus bel endroit de la planète, des roches rouges sang, et la mer bleue,
limpide, à perte de vue. Souvent à cet endroit je l'ai interrogé, elle ne m'a
rien appris... Puis la montée, passant devant Le Cannet, qui se trouve au
sommet de Cannes, oui le Festival du Film... Tu n'es jamais sortie de ton trou?
Là nous dépassons Antibes,
Villeneuve-Loubet, Cagnes Sur Mer, Saint Laurent du Var, oui là, prochaine
sortie, Nice, La promenade des Anglais, oui là, a droite, l'aéroport... Enfin
ils durent subir les fouilles continuelles du plan Vigie-Pirate, à cause de cet
attentat criminelle dans les métros Parisien. Sabine avait un paquet de biscuit
vide à la main, qu'elle n'osait jeter. Il n'y avait plus aucune poubelle dans
tout l'aéroport, ce qui amusa énormément Vincent quand
il s'aperçut que c'était à
cause de cela qu'elle conservait précieusement cet emballage... A la détaxe,
Sabine s'approvisionna en cigarette. Vincent hésita devant une bouteille de
Baileys, mais comment pourrait-il expliquer la présence de cet objet à son
épouse. Beaucoup de risque pour si peu. Puis il y eut cet homme en bas de
l’Escalator.
-
Celui-ci ressemblait étrangement à celui qui se trouvait à la sortie du magasin
de jouet, Sabine...
Elle ne l'écouta pas, déjà
rêveuse, ne se sentant aucunement coupable d'adultère, rayonnante seulement
de ce que ce voyage pouvait
leur apporter à son amant
et à elle. A vrai dire, à
l'homme qu'elle aime, comme
elle n'a jamais aimé, et
comme de toute sa vie, elle n'aimera jamais. Le grand Amour, tous deux le
savaient, seule une honte inconsciente les empêchait encore, sans doute, de se
le dire... Ils atterrirent à
Heathrow. Sabine n'avait
jamais voyagé. En se retrouvant au milieu de personne dont elle ne comprenait
pas la langue, la perturba. Elle se rendit
compte de l'importance que
cela pouvait avoir. Elle se sentit ridicule... Vincent avait réservé une
voiture, tout de suite, ils s'étaient dirigés vers le centre de Londres.
Après s'être installé dans un
somptueux hôtel d'Oxford
Street, ils étaient descendus
flâner dans les rues
Londonienne. Ce devrait être
un des plus beaux souvenirs de leurs existences. Loin d'Iris, loin des enfants.
Vincent avait l'impression de recommencer à
vivre. Trop de pression, trop
de stress, pas assez de
passion? Va savoir? Comment
savoir? Et à quoi bon!
Tout ce que l'on peut faire,
c'est écrire, comme Freud
et Lacan, sur une pensée que
l'on croit objective, sans savoir, ou plutôt en sachant qu'il n'y aura jamais
de réponse... Le propre de la nature humaine, l'explication d'un cas isolé qui
s'explique par d'autres cas... Marc, si il avait pu savoir, se serait aperçut
qu'il ne hantait pas l'esprit de sa tendre épouse. Mais sans doute se
trouvait-il lui aussi trop éloigné de la réalité, se créant comme beaucoup une
image idyllique de son mariage. Sabine riait, tournait, dansait, comme l'enfant
qui s'était réveillé au
magasin de jouet dans le vieux Montpellier. Vincent connaissait très bien la
ville. Je savais où il se dirigeait, il me fit signe de rester muet ce que je
m'efforçais de faire. Il y avait cette odeur, cette atmosphère, que vous
retrouveriez en vous y rendant. On ne peut comprendre, tout au plus essayer, ce
qu'ils ressentirent tous les deux en entrant dans Hyde Park. Ils se mirent à
courir, à jouer à cache- cache, à s'embrasser, à se rouler dans l'herbe, à se
dire
qu'ils s'aimaient sans
réellement s'écouter. Même si
une conscience tentait
désespérément de leur dire que
ce qu'ils faisaient leurs
étaient interdit. Par moment
j'avais même l'impression
qu'ils sur-jouèrent, narguant cette conscience qui commençait à désespérer. Ils
se trouvèrent tous les deux dans un état de démence absolue, sur l'herbe, la
même passion dévastatrice qui avait pris naissance dans cette chambre numéro
six restait sous-jacente, dissimulait sans aucun doute dans l'herbe de Hyde
Park... Devant d'immenses attroupements des hommes isolés se dressaient. Sabine
ne comprenait rien, Vincent les mots, seulement il ne comprenait pas toujours
les sens. Propos trop politique lui confia-t'il. Convaincu lui-même qu'il avait
donné cette explication pour ne pas paraître trop ignorant. Et puis au diable
l'anglais et la politique! Son monde à lui c'est la finance... Il commençait à
faire froid, ils se
blottirent l'un contre
l'autre, avec moins d’ardeur, mais avec la ferme conviction que cette fois ils
ne se lâcheraient plus. Blottit ainsi, ils se dirigèrent vers le restaurent de
l'hôtel. La même osmose, la même ambiance féerique orna la soirée. La salle
était lumineuse, d'immenses lustres tenus chacun par une
unique suspense, comme un
cordon ombilical, faisaient briller les nappes rouges, qui donnaient elles même
de l'éclat aux dorures modestes des chaises. Les serveurs portaient dignement
leurs uniformes traditionnels. Une flamme de tendresse et d'amour s'alluma et
guida les deux amants en les invitant à s'aimer à la folie, l'ensemble du
spectacle se termina dans une chambre qui portait encore le numéro six...
A l'aurore, les amants
s'étaient levés, et ce n'est qu'après s'être approchés de la fenêtre et avoir
observés la rue, qu'ils s'étaient décidés à sortir... Le temps s'était
malheureusement trop vite écoulés. Ils avaient eu beau serrer leurs doigts très
fort, les secondes avaient continué à glisser, inexorablement, de minute en
minute. Rien n'avait empêché le monde de tourner. Pas un voeu, pas un rêve, pas
un souhait. Ce séjour avait cependant permis à ces deux êtres, de
passer de ces étreintes
animal à une fusion d'amour.
Ah quel rêve! Ils s'étaient
embrassés sans cesse, l'un
étouffait l'autre et l'autre
étouffait l'un, sans relâche. Ils avaient dansé, flâné le long de la Tamise,
ils avaient dressé la tête et ils avaient observé ce Big-Ben imperturbable. Ils
avaient profité de la vie, simplement, tendrement. Mais surtout, ils avaient
tout oublié, Iris et Marc, et les enfants, et le terrible froid qui planait, la
pluie qui tombait et les angoisses de la vie, et le stress du boulot, et les
pavés de la rue Saint- Vincent, la Mercedes, le cuir, le vieil arbre de
Montpellier, tout, tout, sauf l'amour, s'aimer, faire l'amour, car c'était bien
de ça qu'il s'agissait désormais...
Ils s'étaient dirigés vers le
métro, toujours inattentif au décor de la rue, avaient pénétré l'âme
souterraine à Bond-Street ou à Marble-Arch et en étaient sortis à
Covent-Garden. Je ne sais pas si vous connaissez cet endroit, qui est à mes
yeux le plus bel endroit de Londres. Avec eux je l'admirais et j’observais les
attractions des saltimbanques... Bercés par la musique romantique de musiciens
de rue aux parcours particulièrement atypiques, nos deux amants continuaient à
resserrer leurs liens. Malheureusement,
rien ne devait empêcher l'avion de 16h 50 de
décoller...
CHAPITRE 6
Le retour vers Montpellier
s'étant déroulé sans embûches, Vincent avait raccompagné sa maîtresse.
Sabine avait tenu à être
déposé deux ou trois rue avant. Bien que les époux respectifs n'étaient pas
prévenus de leurs arrivés, elle tenait tout de même à afficher une certaine
prudence, non néfaste, disait-elle... Il allait retrouver sa femme, rien ne le
pressait, il se dirigeait nonchalamment vers sa demeure. Ce qu'il appelait
autrefois son havre de paix. Il savait qu'il allait retrouver Iris, Léa et
Alexandre, cela le laissait indifférent, cette indifférence ne le troublait
pas. Ce n'est qu'au moment de glisser la clé dans la serrure, qu'il s'abstint,
recula de quelques mètres, sans qu'il n'y
ai de raison... Il se mit à
écouter, il ne comprenait
pas ce qui le saisissait à ce
point, il sentit sa
gorge se nouer, ses boyaux se
tordre, son âme amère,
l'émotion monter dans ses
yeux délicatement,
s'installer confortablement,
occuper tout son esprit.
Il recula encore un peu, se
décidant enfin, il _se
dirigea vers la fenêtre,
observa longuement le
spectacle troublant, se
frottant les yeux jusqu'à les
faire saigner... Il regardait
encore et encore, sentant son sang se glacer, il regardait encore et encore
cette image qui lui semblait absurde... Ses deux enfants, Léa et Alexandre, en
train de jouer, Iris sur les genoux d'un homme à complet noir, un homme avec un
visage d'enfant... Il les regardait s'embrasser, avec une fusion qui les
embrasait. Alexandre s'approcha à plusieurs reprises, et à plusieurs reprises,
son fils et l'inconnu
s'échangèrent des marques
d'affections... Depuis combien de temps cette liaison durait-elle? Depuis
combien de temps sans qu'il ne s'aperçoive de rien? Cela lui paraissait
impossible. Jusqu'à ce qu'il se décida à rejoindre la porte et à la frapper, le
coeur gros, oubliant lui même sa culpabilité...
Iris ouvrit, essayant de
sourire, essayant de ne pas
dévoiler sa gène.
- Je te présente Antoine...
C'est un ami... Il est
détective privé... Il allait
partir...
L'homme au complet noir, il
comprenait... L'homme au
magasin de jouet, l'homme à
l'aéroport de Nice,
l'homme qu'il retrouvait dans
son appartement, le même homme. La douleur la plus vive qu'il éprouva, ce fut
lorsqu'il s'aperçut de la distance qu'il avait créé
avec sa famille, pas
seulement avec Iris, mais avec Léa et Alexandre. Il se sentit tellement
étranger à cette famille, que sans mot dire, il tourna les talons à la scène et
sortit à jardin. Il n'entendit ni cri, ni appel désespéré, tout lui sembla si
floue. Quand à moi je me
permis de lui murmurer: “Je
suis avec toi...” Il
descendit les marches comme
un funambule, les yeux
vide. Son coeur battait trop
fort, il avait l'impression d'exploser à chaque bombardement, il affrontait la
guerre de son esprit. Et il marcha, marcha sans savoir où, sans seulement avoir
un but, sans avoir froid, sans avoir envie de mourir, sans avoir envie de
vivre...
Il reconnut les pavés, il
était sur la rue Saint-Vincent, pas celle de maintenant, mais celle de pendant
la guerre, disons le même décor, mais avec d'autre comédiens. Il entendit le
bruit des Berliets, ces foutus camions qui étaient venus enlever son père,
pendant un moment il eut le même regard d'enfant, l'enfant qui priait, qui
suppliait, que les passants indifférents regardaient en souriant, son père qui
lui envoyait un baiser, un dernier baiser avec la main, le visage
sanguinolent... Il ne pouvait rien faire, comme aujourd'hui il le savait, il
n'y avait plus rien à faire... Ses yeux se transformèrent à nouveau,
redevinrent ces yeux d'adultes, profonds, marqués par l'enfance, par la guerre,
par la défaite de son mariage... Vincent redressa ses épaules, son visage se
transforma. J'avais compris qu'il venait de prendre une décision... C'était en
futur vainqueur qu'il était sorti de la rue Saint- Vincent...
Déraisonnablement, il déambula dans les rue de Montpellier. Comme une bête
fauve, errante, sans but apparent, mais avec une idée fixe. Errante, mais
déterminée, prenant seulement
des détours, sans lesquelles la bête ne se calmerait pas, un peu du moins,
sachant qu'elle était folle, cherchant à la maîtriser, à la dompter, la
maintenir tout en la laissant agir. Et les rues défilaient devant lui, comme un
vieux film en noir et blanc, avec un carré blanc, en bas à droite, pour ne pas
voir un visage d'enfant devant ce film déroutant. Et les rues défilaient, les
quartiers défilaient, il les connaissait tous, mais il ne les voyait pas, ne
voulait pas les voir, et puis il s'en foutait... Puis il se mit à haleter, à
transpirer, la barbe l'irritait, il sentait qu'il
approchait du but, il se
sentit désemparé, une seconde, tout au plus, il avait senti que la bête avait
bien failli être calmée, mais il fallait la laisser agir, c'était important,
pour une fois dans sa vie ne pas laisser la tête prendre le dessus sur
l'instinct... Enfin elle se trouva devant lui cette porte, il la heurta des
deux poings, tambourinant, à maintes reprises, des frappes dévastatrices, qui
auraient déstabilisé un ours. La porte s'ouvrit, Marc était devant lui, plus
grand encore que cet ours imaginaire... La bête se calma un peu. Marc se
dressait devant la porte, en
caleçon, ne comprenant pas qui était cet homme, à cet heure, haletant,
visiblement perturbé. Vincent demanda Sabine, d'une voix rauque et déterminée.
- Elle n'est pas là, elle
dort, qui êtes-vous, que
faîtes-vous là?
Au fond du couloir, Sabine
apparaissait, elle aurait dut être étonnée, mais il n'en était rien. Elle
venait de comprendre que son amant était en train de commettre une folie, cette
folie, elle venait en même temps de s'apercevoir que c'était son rêve
inavouable, le même rêve qui la berçait lorsqu'elle était enfant, qu'elle
rêvait de prince charmant... En un quart de seconde Marc sentit ce qui était en
train de se passer, il se contenta de lire dans le regard de sa femme et de
comprendre, toute l'histoire, toute l'histoire a côté de laquelle il était
passé, sans s'en rendre compte. Comme si il avait marché pendant des années le
long d'une rivière, et que le jour où il avait besoin de la franchir il
s'étonnait de sa présence, et qu'à ce moment là, il se rendait compte
également qu'il n'avait
jamais cessé d'entendre son
grondement. Il resta
perplexe, un long moment, un de
ces affreux moments, où tous
les spectateurs rêvent
avec angoisse la suite du
déroulement; il redressa les
épaules, et prononça un mot.
“Reste!” Tout en sachant
qu'il ne l'empêcherait pas,
qu’il n’empêcherait rien... Mais quand cela se confirma, il ne put encaisser le
coup. Deux bêtes se trouvèrent l'une en face de l'autre, sur le palier de
l'appartement. Vincent n'attendit pas, il assena un terrible coup dans la
mâchoire de son adversaire d'une nuit, d'un moment, de quelques minutes, tout
au plus...
Marc s'écroula. C'est ainsi
qu'une nuit, on pu voir dans Montpellier, deux amants égarés, et portant de
lourdes valises en cuir, sans savoir où vraiment aller, et ce, jusqu'à
l'aube... Si il avait fallu peindre ce tableau, on aurait vu la ville, et le
visage surplombant, ému, attendrissant et plein de compassion de la petite
Ludmilla...
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