3ème partie
CHAPITRE 7
Quelques années s'étaient écoulées
depuis la fugue
fougueuse des deux amants...
Vincent et Sabine vivaient ensemble, désespérément accrochés l'un à
l'autre, ne se lassant pas de
satisfaire leur fusion amoureuse. Bien évidemment il y avait eu un prix à
payer pour garder la
stabilité de ce mode de vie. Très
rapidement Vincent avait
déposé le bilan de son entreprise. Ce qui l'aurait désespéré voilà quelques
années, l'avait laissé de
marbre, imperturbable, indifférent. Il n'avait jamais revu ses enfants, sans
aucun doute le plus lourd tribu. Il ne savait rien non
plus de son ex-femme. Il se
doutait seulement qu'Iris
avait du se mettre en ménage
avec son détective privé.
Ce que je m'empressais de lui
confirmer, libre arbitre
de mon âme et de ce roman. Il
acquiesça du regard...
Sabine quand à elle n'en
savait guère plus au sujet de
son ex-mari. Tout deux, très
confidents se disaient
souvent que cela était mieux
comme cela. Ils avaient
peut être raison... Jamais je
ne me serai permis de leur donner mon avis. Au début de leur vie commune
Vincent avait donc connu les déboires vertigineux de
son entreprise. Sabine
l'avait soutenu pendant une longue période. Comme toujours sa vie se
construisait
pour moitié dans les livres.
Connaissant bien la pensée de son ami à ce sujet, elle n'essaya pas, au début
du moins de l'initier, tellement il était rébarbatif à la littérature. Elle
savait qu'il jugeait ce monde absurde, subjectif, irréel, construit comme une
conspiration, éphémère... Et bien d'autres louanges diffamatoires. Elle se
contenta seulement de lui faire lire son ouvrage, son journal intime que Marc
avait soigneusement considéré, mais jamais édité. Sabine fut triste une fois de
plus, malgré bien sûr son incapacité à juger, que Vincent ne soit guère
enthousiaste face à son manuscrit.
- Comment peux-tu éloigner
ton esprit dans ces chimères! Lui lança-t'il à plusieurs reprises. Elle ne
répondit jamais. L'artiste
blessé dans son art, dont le style est malheureusement irrévocable. Comme une
empreinte, ineffaçable,
propre à chacun, que n'y temps, ni ouvrage, ni travail fastidieux ne peut
gommer. Le talent c'est ce que les autres reçoivent de l'artiste, jamais ce que
l'artiste leur envoie, ni ce qu'il veut faire passer comme message. Il se
contente seulement de dire “oui merci”, bêtement, quand on vient de lui dire
qu'il était génial, même si on lui Dit ce “merci” pour quelque chose qu'il
n'avait pas vu, et qui apparemment, après réflexion, se trouve bien dans son
oeuvre... Sabine pourtant ne l'entendait pas de cette façon. Dans l'ombre, elle
continua à envoyer son manuscrit, après l'avoir fait protéger, à des maisons
d'éditions. Elle reçut beaucoup de courrier types, négatifs du style: Madame
nous avons bien reçu votre ouvrage, il a retenu toute l'attention du comité de
lecture, malheureusement... Suivi de toutes les excuses imaginable et
inimaginable... D'autre n'eurent même pas la politesse de répondre. Perdant
ainsi un manuscrit trop souvent, pendant un temps elle fut contrainte d'arrêter
ces envois infructueux. Cela finissait par lui coûter cher, et malgré son
entêtement à croire en son talent, elle finit tout de même à douter d'elle
même. Sabine avait toujours en mémoire l'histoire de ce pauvre Narcisse qui
était tombé amoureux de sa propre image, avait pris racine et s'était
transformé en fleur stupide. Peut être s’était-elle identifié à lui? Cette question
souvent la hantait. La mythologie grec! Absurde conte pour enfant! Et la voilà,
doutant de son talent, en train de raisonner comme son amant... Les mois
s'étaient écoulés, puis les années, bienfaisante parfois, comme pour les très
bons vins. Et un jour, désespéré de ne toujours pas trouver de travail, Vincent
aborda un livre de Poésie que Sabine avait laissé sur la table de la cuisine...
Tient c'est vrai, suis-je stupide, je ne vous ai pas décrit cet appartement...
Il n'était pas commun, possédant en son antre cette fameuse folie, ravageuse,
dévastatrice, des deux amants qu'il abritait. Il y avait trois grandes pièces,
toute trois illuminée, rayonnante; la cuisine était très moderne, en bois
plaqué, luisant, encadré par des montant en inox brillant. Au sol se trouvaient
les mêmes dalles immenses, en gré. La table elle, dressée sur un seul pied en
aluminium était constituée d'un marbre de premier choix. Toutes les autres
pièces avaient chacune un cachet particulier, mais très différent. Très chaud,
alliant le moderne et l'ancien. Le premier venait donner de la valeur au
second, et le second donnait un ton plus chaleureux au premier, trop froid
quand il est isolé. Un peu comme une Marie-Louise dans l'encadrement d'un tableau. Tout était
toujours très soigneusement et très rigoureusement à sa place. Chaque objet
avait son ordre ordonné. Vincent et Sabine était atteint de la même maniaquerie
sauvage, toujours disproportionné, comme tous les traits de leur caractère...
Enfin ou en étais-je? Ah! Oui! Vincent donc était tombé sur un recueil de
poèmes. Pour la première fois il découvrait ce monde, dont il était resté à la
porte pendant tant d'année, le jugeant et le cataloguant de l'extérieur, comme
le ferait d'ailleurs tout être ignorant, borné, et ne voulant pas s'avouer son
inculture. Les choses stupides sont toujours celles que les passionnés jugent
génial. Il commença à lire un sonnet, c'est, je crois cette construction
mathématique qui attira son regard en premier. Une construction, un profil qui
lui correspondait enfin. Ensuite, si cet attrait l'avait amené à poursuivre sa
lecture, ce fut tout autre chose qui l'immergea complètement dans cette
féeries. Au fur et à mesure que son regard glissait d'un vers à l'autre, il
sentait les émotions le gagner et le surprendre. Des émotions qu'il n'avait
jamais connu avant. Le premier quatrain terminé, que le voilà déjà entraîné
dans le suivant, sans pouvoir freiner ce nouvel appétit naissant. Et le voilà
changeant de monde, de vie, de sensibilité, à chaque mot, finissant le deuxième
quatrain, entraîné à nouveau malgré lui à poursuivre sa lecture, contraint de
dévorer le premier tercet, puis le second, trébuchant sans cesse sur cette
césure placée à l'hémistiche de chaque alexandrin... Et quand il referma le
recueil, il eut l'impression qu'il venait de vivre une réel aventure, un
histoire qui avait duré des siècles, en quelques minutes, rassasié de musique,
de rythme, de mot, et d'émotion. Il se sentit amère, prêt à replonger à jamais
dans ce monde qu'il trouvait illusoire auparavant. Il ne regrettait pas, ce
n'était pas son genre, mais il ne voulait pas avoir à le faire un
jour. C'est ainsi que
ressentant un trop grand vide, il signa un pacte avec ce diable littéraire...
CHAPITRE 8
Devant cette révélation, Vincent
voulut s'imprégner de
ce monde qui s'offrait à lui,
mais rapidement il dut
se confronter à son ignorance
en ce domaine. Ces gens qui ne parlaient pas le même langage, il voulait
désormais les comprendre. Ces gens qui ne parlaient jamais de chiffre, d'addition,
de TVA. Ces gens qui
construisaient à travers de
simple mot, le monde
qu'inconsciemment, ou
sciemment, ils idéalisaient. Ne
laissant jamais le hasard les
surprendre, surprenant les événements, les construisant, sans jamais placer une
virgule, ni un point sans que cela ait un sens rigoureusement précis.
Construisant les rapports des
personnages, effaçant,
modifiant tout ce qui ne convenait pas. Construisant une magnifique liaison
coordonnatrice de tous les individus... Devant son
incapacité à les comprendre,
il commença par poser des questions à Sabine. Celle-ci fut choquée par sa
soudaine inversion de
sentiments face à un monde, que
dans leur couple, elle se
croyait réservé. Au début elle alla jusqu'à penser que c'était une comédie que
son amant était en train de mettre en place. Qu'un jour il allait feindre de
s'intéresser à son journal intime! Et qu'il était en train de modifier son
comportement par amour. Pourtant à chaque fois
qu'elle lui présenta le manuscrit, il ne sembla pas y porter plus d'attention
que la première fois. En fait Vincent était de moins en moins convaincu de la
présence d'un soupçon de talent dans le récit de Sabine. Tous les heurts qu'ils
purent avoir à ce sujet n'altérèrent jamais la fusion d'amour, les rapports
fougueux. Toujours ravageurs, dévastateurs, jusqu'à la fin, un peu comme une
devise. Dès que leurs peaux se trouvaient en contact l'une de l'autre, que
voila la même passion surgissante, les embrasant continuellement, jusqu'à
épuisement. Sans le jeu dévastateur de “L'Amant” de Pinter.
Sabine ne répondit pas à ses
multiples questions.
- Débrouille-toi! Les
réponses se trouvent toutes dans
les livres que tu as si
souvent dénigré...
Alors sans attendre
d'avantage Vincent se mit à
parcourir la bibliothèque de
sa concubine. A vrai dire
il ne savait pas par lequel
commencer, et surtout ne se
doutait pas encore de ce que
sa première vraie lecture
allait déclencher en lui. Il
resta imperturbable, les yeux fixés sur les étagères de la bibliothèque, lisant
les divers titres à de nombreuses reprises... Sans ce décider... Finalement il
tendit le bras droit, étira tout son corps et prit le premier volume en haut à
droite, laissant ainsi le hasard choisir à sa place. Il caressa l'ouvrage en
cuir, doucement, précautionneusement, visionna le titre et s'en imprégna,
sachant que celui-ci contenait l'essence de l'histoire qui suivait... “La bête
humaine”, d'Emile Zola. La folie qui règne dans cette oeuvre, la description de
l'atmosphère, des temps morts décrits par des mots, le troubla une fois de
plus. Tout au long de sa lecture il s'identifia à Lantier, le conducteur de
train... Plus que jamais, il regretta le
roman, dés la dernière page
tournée. Avec empressement il remit le livre à sa place et s'en saisit d'un
nouveau. Ainsi, il avala goulûment l'oeuvre complète de Monsieur Emile Zola.
Rien ne suffirait désormais à apaiser sa soif des mots, des histoires, des
romans, des poésies, peu importe leur nature. Sa deuxième rencontre fut avec
Victor Hugo. Il passa des mois en sa compagnie. Rigoureusement fidèle, jusqu'à
ce que toute l'oeuvre soit épuisée. Menant pratiquement deux vies totalement
opposées, possédant une maîtresse dans son lit et un amant dans sa tête. Peu de
temps après avoir expédier le dernier monument de Monsieur Victor Hugo, Vincent
s'exila dans la poésie, il rencontra Aragon dans son fameux poème “Les Yeux
d'Elsa”. Il savait, après cette lecture, que si il fermait les yeux, il verrait
se construire le visage d'Elsa
Triolet... Sabine, pendant
longtemps agacée de n'être
plus la seule, finit tout de
même par changer d'attitude, et aida Vincent à conquérir cette nouvelle terre.
Elle se demandait, sans jamais oser lui poser la question, quelle profonde
raison le poussait ainsi, et vers quoi. L'amertume de son échec plana longtemps
dans leur relation, comme un sage démon, jusqu'à ce quelle ce décide à enfermer
définitivement son journal intime d'adolescente en mal de vivre dans un sombre
tiroir étroit. Elle se sentit délivrée de ce poids pesant et contraignant,
disponible enfin à soutenir son compagnon. Restait à savoir de quelle façon, et
dans quelle direction? Comment le savoir?
Un jour pourtant Vincent,
sans jamais y avoir pensé,
se surprit un stylo à la
main, en train d'écrire à
quarante cinq ans, son
premier poème. Emouvante
et poignante description d'un
destin tragique.
Ecrivant le dernier mot, il
se mit à pleurer, de même
qu'il avait pu le faire à la
naissance de sa nouvelle
passion. A la lecture Sabine
ne put rester de marbre,
et ne le crut pas être
l'auteur de ce poème. Elle
finit par se rendre à
l'évidence, quand après cette
longue période de lecture,
Vincent se transforma et
passa ses journées à écrire,
ou plutôt à décrire les
défauts d'un monde réel.
Poème après poème, il analysa son style, le peaufina, l'ajusta, de la même façon
que les différents auteurs lui avaient confié entre les
lignes de leurs récits... Rien de tout cela
n'apaisa
son indescriptible envie,
d’une identique façon rien
n'apaiserait jamais le désir
fougueux de sa relation avec Sabine. Un soir, il prit la décision de commencer
son premier roman!
Le roman de Vincent prit ses racines
dans le portrait de la Joconde. Il commença sa description en
transposant l'image d'un
autre tableau sur la feuille, avec des mots à la place de la peinture, une
plume à
la place d'un pinceau,
mélangeant les lettres à sa guise. Le tableau représentait un paysage, une
forêt, une clairière, plus on se rapprochait du peintre, plus on se rapprochait
de son âme, vibrante, remplaçant l'objectif d'un appareil photo; mais à travers
son regard, on sentait, on ressentait, sans le voir, le regard de la Joconde.
Et c'est cette énigmatique sensation que Vincent traduisit à merveille, mot
après mot, délicatement, sans aucune précipitation, sans jamais se prendre au
sérieux. On ne peut être fier de ce que l'on est, disait-il, tout au plus, dans
certain cas, on peut l'être de ce que l'on devient. Et il continua ainsi son
oeuvre, n'écrivant jamais ce qu'il avait envie d'écrire, mais le faisant
ressentir si fort que l'impression du lecteur ne pourrait s'y tromper, il en
était certain. Laissant toujours cette impression de sous-texte, de
sous-entendu continuel, jamais grotesque, écrivant de sa plus belle plume les
mots dont il modifiait le sens par leurs assemblages. Ce qu'il appelait le
mariage des mots. Et plus le temps passait plus le fleuve grossissait,
s'épaississait de mot toujours plus neuf, les imprégnant de son charisme,
presque de son odeur. Il s'égarait dans des enchevêtrements de thèmes totalement opposés et les unissait si bien
que personne ne pourrait être choqué. Il savait , car il l’avait lu dans des
livres de psychologie qu'un être ce forme d'identifications multiples, il avait
compris que lui s'était identifié tour à tour aux différents auteurs qu'il
avait rencontré. Plus il écrivait, plus il se sentait bien, terriblement bien,
prenant racine sur son vieux fauteuil en cuir marron auquel il devait et se
devait de rester attaché pour le restant de sa vie... Lorsque Sabine prit
connaissance du début du manuscrit, celle-ci, très sensible, s'envola,
pénétra immédiatement l'âme
de son merveilleux
compagnon. Ce début d'oeuvre
l'envoûta, entière, les
mots, la poésie, le contexte,
l'histoire, la véracité des sous-entendus dénonciateur d'une société décadente,
les propos accusateurs, les descriptions des lieux, des personnages, les
rapports humains, les histoires d'amours. Fébrile, elle reposa les feuillets
sur la table en marbre de la cuisine. Elle resta là, immobile, plus de deux
longues heures, pensive, rêveuse... Cependant lorsque Vincent arriva, elle ne
se permit pas de lui faire partager son envoûtement, un peu parce qu'elle
possédait inconsciemment une rancune amère du manque d'intérêt qu'avait porté
son amant à son journal intime, mais aussi, parce qu'elle ne voulait pas que
l'inspiration de celui-ci puisse être étouffé par trop de compliment. Elle
pensait qu'il ne fallait rien ajouté à son enthousiasme, et surtout lui laisser
le terrible doute que possède chaque écrivain quand à la qualité de son
ouvrage. Il comprit immédiatement que celle-ci avait parcouru son roman, il la
regarda, de son regard clair,
questionnant, demandant avec
d'autres mots. Un:
“- Tu a fait les courses!”
qui voulait dire tu l'as trouvé comment? Qu’est-ce que tu en penses? Elle se
contenta de répondre oui, se gardant bien d'ajouter un
sous-entendu, une information
supplémentaire. Elle
répondit ce oui, qui voulait
seulement dire “oui j’ai fait les courses”. Il n'insista pas, apeuré sans doute
par cette réponse qu'il désirait, pourtant. Alors afin d'oublier tout deux
cette position embarrassante, ils
s'embrassèrent tendrement, ce
qui déclencha comme
toujours la même fusion
ravageuse. Gêné, je détournai
les yeux. “entracte.”
CHAPITRE 9
C'est avec un acharnement
terrible, un rythme de travail intense, que Vincent continua à écrire. Il
n'était jamais satisfait du premier jet, mais ni du second, ni du troisième, il
reprenait le texte, le tournait et le retournait, sans cesse, jusqu'à approcher
la perfection, essayant de garder le suspens, une logique implacable, une
véracité de l'histoire, même si tout était faux; comme le jeu d'un comédien par
ailleurs. Mais en même temps, il voulait garder la musique des mots, comme dans
la poésie, oui c'était cela, il était amoureux des mots, tous ces mots qui
défilaient devant lui et qui l'enivrait de bonheur; l'emmenant presque à la
jouissance. Il était heureux devant sa machine, à regarder cet écran sobre,
banal comme tous les écrans de machine à écrire, mais ce qui ne l'était pas, il
en était certain désormais, c'était ce que lui, Vincent Cohen, était en train
de taper sur ce clavier. Son histoire se construisait comme un puzzle, il
fallait rassembler toutes ces lettres, vingt six lettres à assembler, encore et
encore, jusqu'à former des mots, des mots qui font naître des phrases, encore
et encore, jusqu'à faire naître des paragraphes qui forment à leur tour une
seule et même histoire, où tout se lie, où tout les destins se croisent, pour
les besoins ultimes d'un
homme face à sa machine, sans
intermédiaire, et qui à
presque l'impression de
donner la vie, d'enfanter, de faire le bien, ou le mal, ou bien décrire
simplement ce qu'il voit. Vincent transpirait sans cesse, tant il donnait
d'humeur à son roman. Il essayait continuellement de décrire les couleurs des
lieux imaginaires. Il resta assis de cette façon pendant plus de deux ans,
s'enfonçant de plus en plus dans le cuir de son vieux fauteuil, sans jamais
lever la tête, sans jamais jeter un coup d'oeil à la reproduction du Monet qui
surplombait le bureau. Les coquelicots embaumaient toute la pièce, tandis que
la dame à l'ombrelle se courbait au dessus de l'épaule de Vincent et
s'extasiait elle aussi, la deuxième après
Sabine, de l'oeuvre...
Toujours, dans la pièce se trouvait, voltigeant, le petit sourire narquois de
la petite Ludmilla. L'enfant de la rue Saint Vincent lui
souriait parfois, posait le
doigt sur sa bouche et disait, “chut”! Le roman de Vincent se termina dans un
décor Vénitien, les gondoles s'éloignaient, emportant les deux héros, celui-ci
les salua, une dernière fois, sachant bien qu'il ne les reverrait plus. Une
larme coula de ses yeux, il appuya sur le dernier point, puis non, il en ajouta
deux autres... Le rideau rouge tomba, balayant la scène, et il tapa les trois
dernières lettres, FIN. Brutalement, sans trop vouloir y croire, il se
retrouva dans le monde des vivants...
Sabine, qui pourtant aurait pu
l'aider, connaissant
les noms et adresses de
diverses maison d'édition, n'en fit rien. Mais de toute façon Vincent travailla
dans l'ombre, préférant se préserver de faux espoirs, comme il le savait, sa
concubine en avait fait les frais. Et puis il connaissait la démesure de son
amante, qui n'aurait pas hésité à expédier des centaines d'ouvrage à travers la
France. Vincent était trop modeste, plus sage, il croyait en lui, il savait en
même temps, que la chance, des concours de circonstance pouvait changer un
destin. Prudent il se contenta d'expédier dix manuscrits. Il hésita seulement
sur le choix des maisons d'édition. Il se contenta de choisir devant moi, en
fonction de mes préférences. Il inversa seulement, mot après mot,
systématiquement, tout ce que je pouvais lui souffler, tandis que je me rasais,
face à cet étrange miroir. Tout nos traits, toutes nos pensées aussi étaient
inversés, gardant la même ligne parallèle, mais
n'allant visiblement pas dans
la même direction. Ce que je me contentais d'espérer, c'était qu'un jour, l'on
puisse se retrouver face à face, que son grain de beauté ne soit plus sur sa
joue droite, et le mien sur la gauche... Enfin, il expédia par la poste toute
“son âme”... Pendant plus d'un mois, il ne tint plus en place, trop nerveux,
séparé de son manuscrit, oubliant le son et les touches du clavier de sa
machine à écrire, ne se rendant plus dans son bureau, laissant l'âme de la
petite Ludmilla se perdre dans des discussions interminables avec la dame à
l'ombrelle. Les coquelicots embaumés, seulement elle était allergique au
coquelicots la petite Ludmilla, et Vincent le savait, pour la première fois il
restait indifférent à son premier amour, à ses souvenirs
d'enfance. Et bien que je lui
reprochait vivement, il n'en tint pas compte, pendant une seconde, une seconde
seulement, on aurait pu croire qu'il ne m'écoutait plus... Etrange... Etrange?
Parfois furtivement, après un café, il se rapprochait du tiroir ou se reposait
désormais le journal intime de Sabine. Il l'ouvrait, en sortait les multiples
réponses négatives qu'elle avait reçu. Découragé par son geste, qu'il trouvait
lâche, et à la fois par ce qu'il voyait, il baissait
les épaules, puis pris de
sursaut, il les haussait, et repartait avec un espoir modeste. Sabine tous les
matins quand à elle, quand elle se retrouvait face à lui, ses lèvres la
brûlait, trop de questions la hantait. Quand auras-tu fini ton roman? Quand te
décideras-tu à l'envoyer? Elle ne le voyait plus écrire, finit par se dire
qu'il avait peut être renoncé. Provisoirement? Définitivement? Elle ne savait
pas, elle ne savait rien. Vincent n'en savait guère plus qu'elle, face à ce qui
allait suivre...
Car en effet, un peu plus tard,
Vincent revint à
l'appartement, blême, le
coeur palpitant, à la limite de l'infarctus. Il venait de passer à la boite au
lettre, et sur une des lettres, il avait aperçut l'entête d'une des maisons
d'éditions. Il se posa dans son bureau, pour la première fois depuis plus d'un
mois. Quand il pénétra dans la pièce, la fille et la femme le fusillèrent du
regard, mais quand elles comprirent pourquoi il venait, elles oublièrent toutes
les deux leur rancune. Vincent s'enfonça dans son fauteuil en cuir, je devrai
dire s'enfonça un peu plus dans son fauteuil en cuir, car il s'y était vautré,
lourdement, lorsqu'il avait senti ses jambes tressaillir. Il aurait pu en effet
ouvrir cette lettre
avec précipitation, mais il
n'en fit rien, il la respira longuement, essaya d'imaginer ce qu'elle pouvait
contenir, imagina le pire, imagina le meilleur, il eut beau réfléchir encore et
encore, il ne vit pas d'intermédiaire. Il y avait le bon d'un côté, et le mauvais
de l'autre, sans rien au milieu, même pas un vide dans lequel il pourrait se
jeter, pas même un abris dans lequel se cacher. Quand il sentit autour de lui
une nervosité grandissante, il se décida enfin à ouvrir cette lettre. Il
déchira l'enveloppe, en sortit délicatement le contenu, et à ce moment là, il
eut la réponse subite à toute ses questions absurdes. Il avait la réponse qu’il
attendait depuis si longtemps sous les yeux... Une réponse positive. Il n'osait
y croire, il lisait et relisait encore la lettre, soupirait, versait des larmes
de bonheur. Ses nerfs lâchaient, il était heureux, réellement heureux. Et moi
je pleurais avec lui, nous avions réussi, dans notre association. Nous savions
désormais tous les deux que nous pouvions avoir confiance l'un en l'autre. Là,
il aurait dû se précipiter, foncer sur le téléphone, il n'en fit rien,
n’arrêtant décidément pas de me surprendre. Il resta immobile, songeur,
persuadé qu'il ne devait pas prendre de décision sans réellement avoir
longuement réfléchit. L'instinct de l'homme d'affaire reprenait le dessus. Il
referma la lettre, la fourra dans le tiroir du bureau, et sortit. Le regard de
Sabine ne le perturba nullement. Malgré que ce ne soit pas dans ses habitudes,
il s'installa, et alluma le téléviseur, regarda un film idiot, tout le restant
de la soirée. Le lendemain, les mêmes scènes se reproduisirent, trois lettres
d'éditeurs, trois réponses, toutes positives, il n'en croyait pas ses yeux! Il
savait que c'était le rêve inespéré d'un auteur, et il avait l'impression dans
son bonheur, de ne pas mériter cela. C'était trop beau, trop extraordinaire.
Cela n'était pas mon avis. Avec toutes ces réponses, toutes ces offres, toutes
ces possibilités, tous ces contrats qu'il pouvait signer, son esprit se
brouilla. L'homme d'affaire ne suffisait plus, manquant sans doute
d'impartialité. J’eus peur pour mon personnage... Pour la première fois je pris
les rennes du roman, et j'écrivis en toute lettre: “Il parla à Sabine.” Je
savais qu'elle seule pouvait l'aider. Elle fut bien sûr très surprise, et à la
fois déroutée également par le succès de son amant, mais elle se reprit et se
décida à jeter un oeil au proposition de contrat. Elle lui Dit seulement sur un
ton accusateur: “Tu aurais pu m'en parler tout de même.” Il ne répondit pas.
Quand elle commença à lire, elle pâlit, car elle venait de s'apercevoir qu'une
des maisons d'édition n'était autre que celle de son ex-mari. Elle l'expliqua à
Vincent. Mais lorsqu'elle voulut l'écarter du choix possible, son amant s'y
opposa. Il n'y avait pas de raison réelle, ni de raison valable à ce geste.
Peut être, tout au plus, une superstition, une prémonition peut être, oui peut
être, tout au plus... Une fois qu'après mainte et mainte réflexion Sabine se
décida, et affirma son choix, elle se leva et quitta la scène, sous les
applaudissements. Vincent se retrouva seul, avec ses deux amies chimériques. Il
caressa l'enveloppe de l'homme dont il avait en quelque sorte dérobé l'épouse.
Il ne put s'empêcher de penser qu'il n'avait pas le droit de ne pas lui
réserver l'exclusivité de son oeuvre. Restait bien évidemment à le convaincre,
car toujours, tous deux, posséderaient en mémoire le souvenir de leur
affrontement... Il quitta le bureau, sans même leur dire adieu. Il sortit, fit
un gigantesque détour, afin de passer, en défilant, fièrement sur la rue Saint
Vincent, en saluant le passé, conscient que c'était à cette rue qu'il devait sa
vie, son passé, sa futur réussite, oui il savait que c'était cette rue qui le
portait et qui le porterait au sommet! Cette rue qui l'avait connu quand il
n'était rien qu'un de ces innombrables mioches, et cette rue encore qui avait
été témoin du drame de sa vie. Et c'était cette rue qui allait l'emmener au
succès. Il la quitta, fier, souriant au pavé, et à la vie, goûtant à ce bonheur
rare qu'il savait éphémère. Ce bonheur artistique, impalpable, inexplicable.
Encore, il versa une larme au souvenir éternel de son père. Il arriva à la
porte de la maison d'édition de Marc. Celui-ci blêmit à la vue de l'homme qui
venait de pénétrer dans le bureau. Il ne se questionnait pas, deux secondes
auparavant, sur l'identité de celui qui allait comme de très nombreuses fois
pousser l'énorme porte en bois d'ébène, tant il en avait l'habitude. Tant il en
avait l'habitude, qu'il croyait désormais que plus rien ni personne ne pouvait
encore le surprendre. Pourtant si il l'avait juré, il ne le jurerai plus. Le
hasard du monde, qui tourne, se bouscule, sur sa face des billes dégringoles,
elles l'englobent, se dispersent, se rencontrent parfois, et le hasard, et
seulement lui, leur permet parfois de se rencontrer à nouveau. C'était
exactement ce qui venait de se produire dans ce bureau somptueux. A la
différence, car il y en avait une, c'est que ces deux billes, étaient, à leur
dernière entrevue, deux animaux, des mâles en rut, prêt à tout pour ramener la
femelle dans la tanière, et l'un deux avait décroché la mâchoire de l'autre.
Mais cette fois, c'était bien deux hommes, deux hommes amers, tout au plus, qui
s'observaient. Pour finalement finirent leurs diverses observations, leurs
maintes et maintes réflexions dans un éclat de rire commun, une bousculade, et
une empoignade. Je m'en souviens, les deux mains s'étaient serrées comme deux
étaux, pour exprimer la paix qui venait de naître, quand les mots leurs avaient
manqué à tout deux. Oui, oui je me souviens, beau moment! Lorsque la phase de
ce côté émotionnel fut enterrée, Marc et Vincent commencèrent bien sûr à parler
affaire. Marc avec empressement sortit le contrat. Vincent se méfia tout de même
de cette précipitation. Effectivement, il venait de prendre une décision, celle
de se faire éditer par l'ancien mari de sa concubine, ce qui pour lui, ne
voulait pas dire qu'il fallait qu'il se fasse avoir, car après tout, ses
sourires pouvaient bien cacher un plan diabolique et sournois. Vincent aguerrit
par son appartenance, enfin son ex-appartenance au milieu financier, savait que
rien ne pouvait être lu sur un visage. Il se contentait de laisser son instinct
le guider comme un chien, lorsqu'il devenait aveugle. Il ressentait, puis il
sentait, il savait qu'il n'avait pas le droit d'avoir le nez bouché, car cela
pouvait coûtait cher, trop cher. Là, il en était convaincu cela sentait bon, il
s'en remit à son instinct, et signa, après tout de
même avoir lu et relu les dix
feuillets jaunes...
C'était entendu! L'écrivain
était sorti du bureau, songeur, le coeur palpitant, comme un joueur en bourse
aguerrit qui venait de miser toute sa fortune dans un coup décisif. Laissant
faire le hasard, trop fier de défier le monde, comme un coup de poker, trop
pris par la fièvre dévastatrice du jeu, voulant ignorer les
risques. Le monde qui
l'entourait n'existait plus, l'homme était seul, face à lui, fiévreux déjà d'un
succès, d'une gloire qu'il ne connaissait pas encore.
Ludmilla virevoltait au
dessus de son épaule, elle avait faussé compagnie à la dame à l'ombrelle. Elle
se sentit pour la première fois jalouse, car l'esprit de son éternel compagnon
se trouvait encombré par trop de pensées impénétrables. Sûrement le diable
littéraire qui veillait d'être ce jour là, l'unique jouisseur de la situation.
Il se mit à pleuvoir, personne ne s'en apercevait, malgré mes éternuements
répétés. Les colonnes érigées, semblaient embaumer on ne sait quels parfums
sordides. Juste suffisamment pour que nous n'oublions pas que nous foulions à
ce moment, le sol de Montpellier. C'était lorsqu'il était passé devant Antigone
que Vincent avait pensé au destin de ce pauvre petit être qui avait recouvert
d'un peu de terre le cadavre de Polynice, simplement, et pour aucune autre
raison, que parce qu'il était son frère. Peu lui importait ce qu'il avait fait,
pensa notre écrivain. Il sortit un carnet, comme si l'habitude qui allait
suivre le reste de son existence venait de naître d'un seul coup. Encrée peut
être dans les gênes, comment savoir? Peut être cela pourra-t’il me servir, dans
le prochain roman. Oui désormais il ne serait plus attaché à son futur succès,
car peu lui importait, ce qu'il voulait c'était écrire, écrire encore, dans un
besoin incessant de consommer du mot, de faire naître un monde nouveau. Il
suait en pensant, transpirant du verbe, songeant à la fois à ce qu'il avait
écrit, à ce qu'il allait écrire, à ce qu'il avait lu, à ce qu'il devait lire
même, digérant sans cesse des phrases, enfantant sans cesse, stockant,
ruminant. Il marchait et son succès était en train de naître, il ne
s'apercevait même pas que son pas était en train de fouler un tapis rouge,
déroulé et offert par une humanité autonome qui venait lui dire merci de ce rêve
qu'il lui offrait. Son esprit ne s'encombrait que de virgule, qu'il balayait
sans cesse par des coups de paupière révulsés, nerveux, anxieux. Il ne savait
pas jusqu'où le mènerait cet égarement, il ne pensait qu'à prendre des notes,
les unes à la suite des autres, dans le désordre le plus parfait, et dés que ce
brouhaha traversait son esprit, qu'il en sortait avec verve, de la poésie, de
la musique, un rythme charmeur sans qu'il puisse y changer quelque chose, il se
laissait guider par ce qu'il ne s'expliquait pas, mais à qui ou à quoi il avait
donné son âme. Cette course folle ne s'arrêterait jamais, il le savait
désormais. Il devait seulement y avoir quelques haltes obligatoires, donnant à
cette gloire qu'il ne dominait pas, l'essence nécessaire à son
fonctionnement en distribuant
des autographes. Il avait cette impression inexplicable de distribuer du
bonheur. Même si raisonnablement tout lui paraissait faux. Comment juger,
comment discerner ce qui est vrai de ce qui est faux. Il jugea rapidement. Sa
vie, il la vivait avec sincérité, se laissant guider par le fil aveugle de ma
machine à écrire, donc le bonheur qu'il offrait au monde ne pouvait être faux.
Il sortit son carnet à nouveau, s'empressa d'écrire, de même, je fis...
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